De grands périls nous assiégent ; des périls plus grands nous menacent. Il en est un dont tous les esprits sont frappés, mais dont nul peut-être n’a encore mesuré toute l’étendue ; je veux parler de la justice près de tomber sous le joug de la politique. Je ne saisirai point cette triste occasion pour redire ce que je puis penser du système de gouvernement qui convient à la France. Il s’agit de droits et d’intérêts qui sont au-dessus de toutes les opinions, que tout système est également tenu de garantir. Je ne sache aucun parti, aucun pouvoir qui ait osé s’arroger, en principe, le moindre droit sur le sang innocent. On l’a souvent versé à flots, mais toujours en le traitant de coupable. Ceci est donc une question libre, une question purement morale, où nulle autre considération ne saurait être admise, sans le plus révoltant outrage à tout ce qu’il y a de saint.
Je prie donc ceux qui pourront me lire d’oublier, comme je le ferai moi-même, tout engagement de situation ou de parti. Pour que la justice soit, il faut qu’elle soit pure ; elle ne supporte aucun alliage ; elle s’évanouit toute entière au moindre souffle étranger.
Quelle est d’ailleurs l’opinion, quel est le parti qui ne trouve dans sa propre histoire, et dans son histoire récente, d’invincibles motifs pour souhaiter ardemment que la justice demeure, qu’elle demeure hors des débats et des vicissitudes de la politique ? L’iniquité s’est promenée au milieu de nous, frappant à toutes les portes, prenant aujourd’hui pour victimes ceux qu’hier elle voulait pour instrumens. Qui sait les retours des choses humaines ? Que la justice ne s’engage point à leur suite ! qu’il y ait, sur la terre, un asile inviolable à tous les vainqueurs !
Notre temps en a plus besoin que tout autre. Ce n’est pas d’aujourd’hui que le monde se plaint d’être mal gouverné. Mais à aucune époque les fautes des gouvernemens n’ont eu des effets si certains, si étendus et si prompts. On dirait que la providence est devenue plus sévère. Elle permet au mal une facilité d’accomplissement, une rapidité de propagation, vraiment inouïes. Et non moins rapide, non moins terrible est la violence avec laquelle le mal retombe sur la tête de ses auteurs.
Je ne viens point rechercher tous les abus dont l’administration de la justice peut être entachée aujourd’hui. Un seul genre de crimes et de poursuites m’occupe. Dès que les partis sont aux prises, on entend parler de conspirations et de complots. Nous n’avions pas besoin qu’une nouvelle expérience nous l’apprît. Elle ne devait pas nous être épargnée. Elle est complète en ce moment. Jamais, depuis la restauration, les actes ou les accusations de cette sorte n’avaient été si multipliés et si graves.
D’où provient ce mal ? Quels caractères doit-il porter pour tomber dans le domaine des tribunaux ? Où commencent l’action légale et l’efficacité du pouvoir judiciaire contre les attaques ou les périls qui menacent la sûreté de l’état ? Quels sont, à cet égard, les devoirs de la politique et les droits de la justice, et quelle limite les sépare ? Cette limite est-elle enfreinte ? Ce sont les questions que j’ai dessein d’examiner.