Chacun de nous regarde le monde et les autres derrière un verre coloré par sa personnalité. Qui fait profession d’observer les événements et les hommes, les voit à travers un prisme qui réfracte et recompose la réalité. L’objectivité consiste à annoncer la couleur du verre et à décrire la forme du prisme. Maurice Duverger le fait dans un livre très différent de ses autres ouvrages. Le Six février 1934, le Front populaire, Munich, la drôle de guerre, l’Occupation, la Libération, l’impuissance de la Quatrième République, la « sud-américanisation » de la France par la guerre d’Algérie, la construction d’un nouveau régime politique, la tempête de mai 1968 et la clochardisation de l’Université : de l’avant-guerre à aujourd’hui, quarante années de notre histoire proche sont décrites de l’intérieur par quelqu’un qui refuse chaque fois d’être totalement « contre » ou totalement « pour », mais aussi de tout confondre dans la même grisaille, la même fausse objectivité, la même pseudo-neutralité, la même indifférence. L’opposant au gaullisme aide le Général à établir l’élection du Président au suffrage universel, le « neutraliste » collabore avec Jean Monnet et le convainc de soutenir Hubert Beuve-Méry dans la première des grandes attaques contre l’indépendance du Monde (si proche de celles d’aujourd’hui), l’adversaire des militaires d’Alger discute en secret avec le colonel Trinquier au temps de l’O.A.S., le professeur proche des étudiants dans les Facultés en grève y combat durement l’anarchie. Semblable au jeune adhérent du P.P.F. de 1937-1938, qui participait au congrès de Jeunesse et Socialisme aux côtés de ministres du Front populaire et dénonçait le fascisme dans un meeting avec Jacques Doriot. La vie n’est pas simple quand on s’obstine à regarder « l’autre côté des choses ».