Michelet, c'est l'irruption de l'Histoire dans la pensée, avec les outils de la littérature.
Il vient de terminer son Histoire de France. Il reste tant de nuit. Dans cette nuit, le crime: crime collectif, même si l'Église lui sert de bras.
Dans les manuels de l'Inquisition, dans les vieilles relations des procès de sorcellerie, Michelet découvre la naissance d'une idée: la femme.
L'étendue du crime, les centaines ou milliers de victimes, en expiation de quoi ? L'inconscient collectif de l'homme face à ce qui lui fait peur.
L'examen est révoltant, il est dur, à la limite parfois de l'insoutenable. Mais les rouages ne sont pas des fantômes dont nous nous serions à jamais débarrassés.
L'enquête de Michelet est passionnante en elle-même, elle ouvre à grands pans sur notre présent.
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L'idée qui me guide depuis longtemps : avoir dans ma bibliothèque numérique les livres qui ont compté pour moi, tout simplement. Et Michelet en est. La mer, quel immense poème... On a complété par cet étrange texte de curiosité dans le monde, L'Oiseau...
Pour la Sorcière, personne n'avait réalisé de version numérique. Ça m'avait demandé quelques mois, mais, dans ces temps premiers de publie.net, au moins je l'avais mise en ligne. Depuis, le niveau d'exigence a monté. Relecture, nouvel epub, couverture aux bons soins de Roxane Lecomte.
Et surtout, l'idée que notre intervention, qui justifie de reprendre ces magnifiques trésors du domaine public, c'est le lien qu'on peut en faire à la lecture au présent. Sur le web, tout est offert, mais guider et mettre en avant les enjeux, ça passe par la lisibilité même, l'ergonomie de ce qu'on fait du texte, mais ça passe aussi par cet énoncé.
Hervé Jeanney, en tant qu'historien, s'en est chargé (et de la relecture pour l'établissement du texte). Il nous propose un préambule qui renverse radicalement les clichés sur Michelet. Tenir la ligne frontière entre le travail de l'historien et celui de l'écrivain. Replacer la lecture du Moyen Âge, qui a tant évolué depuis 80 ans, dans cette dynamique même d'appropriation et lecture.
Ça ne change rien aux horreurs que décrit Michelet, et à une question qui ne peut pas s'appréhender sans poser politiquement le rôle de la femme dans la société, en permanence lisible en creux dans les énoncés qui les condamnent pour sorcellerie, et tuent.
Voici ce préambule d'Hervé Jeanney, et – pour nos abonnés qui auraient déjà téléchargé la version initiale de la Sorcière, bien sûr penser à la remplacer par celle-ci !
François Bon
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En 1862, quand paraît La Sorcière, Michelet a 64 ans. Autant dire qu'il n'est plus un perdreau de l'année. De lui, de son œuvre, Pierre Chaunu, historien archi reconnu-encensé-installé, dira "au niveau historique, c'est nul". Parce que Michelet, souvent, écrivit non en historien mais en écrivain.
Touffu, éclaté, fiévreux même, La Sorcière est un livre de convictions qui se soucie comme d'une guigne de vérité suprême. Au contraire. C'est un livre où l'auteur livre ses écœurements devant la bêtise du dogme religieux, la stupidité des inquisiteurs, le gâchis humain que souvent le Moyen Âge livra. Et ses séquelles obscurantistes jusqu'en plein XVIIIe siècle.
Bien sûr, on sait depuis que Michelet "inventa" le médiéval horrifique. Il le tenait tellement en horreur qu'il le noircissait à outrance. Mais ces excès ne sont pas si gênants puisque l'historiographie, depuis, s'est chargée d'équilibrer la balance. Et puis, en histoire, science...