Si Georg Simmel est largement connu et reconnu par les sociologues et les philosophes, il est quasiment absent des références en science de gestion. Pourtant, s’il était besoin d’incarner l’idée d’« inspirateur », Georg Simmel serait une évidence. En effet, nous verrons qu’il a su tout à la fois :
contribuer à l’essor de la sociologie, discipline tout juste balbutiante, tout en adoptant une position marginale de résistance aux aspirations scientistes de ses collègues, position qui lui a d’ailleurs coûté fort cher (Papilloud, 1999),
assumer pleinement le fait qu’il n’aurait pas de disciples au sens académique du terme, afin de pouvoir préserver son indépendance, tout en gardant la certitude de la dissémination fertile de son savoir à travers les siècles,
livrer à la postérité des travaux foisonnants, tant dans leurs objets (le pont et la porte, les ruines, le pauvre, le mensonge, la coquetterie …), que dans le style, à la fois brillant et digressif,
maîtriser la fertilisation croisée entre disciplines : philosophie, sociologie et l’histoire pour ne citer qu’elles,
dessiner les contours d’une métathéorie multidimensionnelle centrée sur la compréhension ambitieuse de ce qui fait la vie en société et lui donne son sens.
Pour toutes ces raisons, qui par leur ambivalence, dessinent déjà en creux la personne et son œuvre, Georg Simmel a été redécouvert assez tardivement par ses propres collègues, philosophes et sociologues, après plusieurs décennies d’oubli. Pour les chercheurs en sciences de gestion, il semble être réduit à une référence, plus souvent assénée que démontrée, de la lointaine paternité de la « théorie des réseaux ».
Certes, l’entrecroisement des réseaux a été un sujet traité par Georg Simmel, mais nous allons voir que c’est un thème parmi beaucoup d’autres, qui, tous potentiellement, ont éclairé de près ou de loin la recherche en gestion.
Après une première partie où nous présenterons l’homme, sa vie et, de façon succincte et partielle, son œuvre, nous analyserons dans un deuxième temps les thèmes où l’apport en théorie des organisations est le plus manifeste, et nous proposerons en dernier lieu, un décryptage de phénomènes contemporains avec une lecture que nous qualifierons de « simmelienne ».