J’étais dans la pénombre lambrissée, discrètement propice, du bar du Lutetia, quasiment désert. Mais ce n’était pas l’heure ; je veux dire, l’heure d’y être en foule, l’heure d’y être attendu ou d’y attendre quelqu’un. D’ailleurs, je n’attendais personne. J’y étais entré pour évoquer à l’aise quelques fantômes du passé. Dont le mien, probablement : jeune fantôme disponible du vieil écrivain que j’étais devenu. J’avais tout juste le désir d’éprouver mon existence, de la mettre à l’épreuve. Nous sommes en 2005, Jorge Semprun se confronte à son passé et relate, comme il ne l’a encore jusque-là jamais fait, son expérience de la torture. Il nous offre un témoignage sans pathos, récit à la fois poignant et détaché, d’où se dégage une perception philosophique prégnante. Un nouvel éclairage saisissant de ce que fut ce singulier penseur.