« Lorsqu'on voit défiler sa vie, on se dit, devant certaines scènes : comment ai-je pu ? Et devant d'autres : qui est cet homme ?... »
Ce sont deux réactions que Martine de Rabaudy a voulu susciter chez Jean Daniel, ce qui lui fait prendre une distance nouvelle à l'égard de ce qu'il a vécu de plus intime. A chaque période, parfois à chaque phrase, un fait ou un sentiment surgit qu'il ne reconnaît pas. D'où un frisson de surprise et des élans de passion. Un écrivain regarde vivre un journaliste et il s'étonne : le second a eu dans la vie, malgré les épreuves, une chance que le premier ne trouve pas toujours justifiée. Il a été aidé et entouré par les plus grands et parfois il s'est retourné contre eux...
Cela dit, le héros du livre ne se doute pas, en 1964, lorsqu'il fonde Le Nouvel Observateur, qu'il ajoute une institution à la vie intellectuelle française. Et que son hebdomadaire va devenir, à travers un demi-siècle d'orages et de tumultes, le rendez-vous de la littérature et de la politique. Et voici qu'aujourd'hui l'écrivain aperçoit sans indulgence, au cœur de cette histoire, un journaliste candide et distant, un étranger sûr de lui dans l'action et sceptique dans les idées, péremptoire et désenchanté, esthète et engagé, laïc et mystique, gidien, camusien, mendéiste, fidèle à une certaine idée de la gauche et qui tente de survivre à la mort des utopies et aux échecs de la décolonisation. Cet étranger qui me ressemble revisite ainsi l'aventure d'un journaliste-écrivain aux prises avec son siècle.