La généalogie est la querelle de Marie Cosnay, et cela dès son premier livre dont le titre, "Que s’est-il passé", est emblématique, programmatique.
Non pas qu’il s’agisse pour elle, au terme d’une enquête, d’éclaircir des chaînes de raisons, de mettre en ordre ou d’aligner des faits et des dates, on s’en doute.
Le souci est autre : la question qui la travaille et souvent la blesse, comme il arrive aussi à chacun de nous pour peu que nous demeurions inquiets, inquiets de l’altérité, celle des autres, comme peut-être aussi la nôtre..., c’est d’interroger justement la part d’énigme où tout destin et tout être semblent s’abîmer.
Et sa méthode, sa pratique plutôt, c’est de tenter cette approche d’une manière qui jamais ne dénature l’énigme, qui, au contraire, la fasse briller comme telle.
Il faut à l’entreprise, d’une part la compassion, celle que l’héritage grec enseigne à Cosnay, s’il est vrai, comme le montre la dernière partie du livre, que l’enquête que poursuit la narratrice d’André des ombres, titre explicite, coïncide avec une descente aux Enfers, et, d’autre part, la « ferme demeurance », comme le dit Hölderlin, de qui, fidèle aux « lois du temps », ne transigera pas avec je ne sais quelle nécessité de bon sens.
Témoin, ce que dit la narratrice, dans la dernière partie du livre, et à propos de Virginie, figure essentielle du récit, première femme de son arrière grand-père André le taiseux, qui abandonne en 1914, on ne sait pourquoi ni comment, en pleine guerre, et leur fils sans prénom connu de nous, et son mari soldat, abandon qui marque le commencement de tout.
Elle donne là, et les caractéristiques de la matière qu’elle travaille, ce qu’elle nomme ici l’accroc dans le tissu du réel et de l’histoire – individuelle ou collective – tissu que l’on voudrait ravauder sans pour autant le priver de ce qui bée, où se loge ce que je nommais l’énigme ; et puis aussi elle dit comment elle écrit, sa marche personnelle, le rythme de cette marche, ce que dit très clairement ici accéléré : sauts, arrêts, reprises, ressassements interminables des mêmes faits et des mêmes postures mystérieuses. Enfin, reprise du souffle.
Par moments, longues plages de rêveries méditatives, le temps arrêté, la poésie à l’œuvre. C’est ce que j’aime dans cette écriture : brusquerie, violence, et tendresse confondues.
C’est en fait toute une histoire, toute la généalogie, donc, d’une famille, depuis la fin du 19ème siècle jusqu’au présent où la narratrice...