L'enfer est aussi vieux que le monde, ou plutôt que la conscience du mal. De l'épopée sumérienne de Gilgamesh à Huis-Clos, l'homme n'a cessé d'imaginer ce que peut être ce lieu infernal, en quoi consiste les souffrances qu'on y endure. Héros, poètes, moines visionnaires ont multiplié les descentes aux enfers et en ont ramené des descriptions horribles qui traduisent chacune les fantasmes de leur époque. Lieu de survie sans châtiments, lieu de punition éternelle, lieu abstrait, leur diversité constitue l'un des volets de la longue histoire de l'humanité.
La question de l'enfer dépasse de très loin le dogme chrétien puisqu'il est quasi absent de l'enseignement de Jésus. L'enfer chrétien est cependant le plus durable, le plus complet des imaginaires infernaux. C'est sous la pression populaire que l'Église fixe peu à peu sa doctrine officielle. Le Moyen Âge connaît un délire d'inventions macabres, de supplices infernaux dont Dante nous offre la vision la plus illustre. L'enfer populaire apparaît alors souvent comme la satisfaction, dans un rêve collectif, d'un désir de vengeance. Les théologiens du Grand Siècle vont rationnaliser cet enfer avec un rare raffinement. L'enfer devient une arme de dissuasion pour les prédicateurs qui voient en lui la preuve de l'existence d'une justice divine immuable. La fin du XIXe siècle marque l'apogée de l'enfer comme construction intellectuelle. Mais cet enfer, méticuleusement réglé, ne terrorise plus les fidèles depuis longtemps. L'enfer traditionnel, qui sanctionnait l'individu méchant, a disparu. L'enfer se situe désormais sur terre, prenant la couleur de la conscience moderne.